
Isabelle FLORENT

61 rue Buffon (CP52)
75005 Paris
Responsable du parcours Environnement, Santé (ES) du Master Biodiversité, Ecologie et Evolution (BEE) du MNHN
Activités de recherche
1. Plasmodium falciparum , agent du paludisme : caractérisation fonctionnelle et inhibition sélective de cibles alternatives pour le contrôle du développement de Plasmodium / annotations fonctionnelles du génome de Plasmodium
Plasmodium falciparum est un parasite protozoaire, principal responsable du paludisme chez l’Homme avec 4 autres espèces : P. vivax , P. malariae , P. ovale et P. knowlesi (cf. rapports de l’OMS, http://www.who.int/malaria/publications/world_malaria_report/fr/ ). Bien que l’incidence et la mortalité dues au paludisme aient fortement décru durant ces 15 dernières années, notamment grâce à la distribution et l’utilisation massives de moustiquaires imprégnées, une vigilance constante est requise car on ne dispose toujours pas de vaccin commercialisé et les médicaments antipaludiques perdent de leur efficacité face aux chimiorésistances développées par les parasites, y compris envers les molécules les plus récentes (dérivés de l’Artémisinine). Devant ce constat, de nombreux laboratoires dans le monde se mobilisent pour faire émerger de nouvelles classes chimiques de médicaments actives sur de nouveaux types de cibles, que ces dernières soient des enzymes parasitaires ou des voies métaboliques particulières. Une telle démarche, si elle est aisée à concevoir sur le plan intellectuel, reste extrêmement difficile à réaliser en pratique car, même si on est capable de mettre en évidence des molécules à activité antipaludique sur des cibles et/ou in vitro (i.e. sur des cultures de parasites), la route est longue jusqu’au médicament qui doit être puissant, sélectif et disposer de propriétés pharmacocinétiques favorables.
Mes travaux de recherche se sont inscrits depuis plus de deux décennies dans la thématique globale de contrôle du développement de Plasmodium dans sa cellule hôte (globule rouge). Durant la première décennie, ils ont consisté en l’isolement de gènes d’intérêt (codant principalement des protéases), en la caractérisation moléculaire de leur expression (ARN, protéines), en la localisation subcellulaire des enzymes (imagerie par fluorescence), ainsi qu’en la mise au point d’inhibiteurs spécifiques de ces cibles, qu’ils soient d’origine naturelle ou de synthèse. Les effets biologiques de ces inhibiteurs ont été évalués sur les cibles (natives ou recombinantes) et la prolifération des parasites en culture. Ces travaux ont été réalisés au départ en amont du décryptage du génome de P. falciparum (Gardner et al., 2002, Nature 419, 498-511). Depuis, les approches expérimentales comprennent également la génétique inverse (knock-out des gènes ou fusion génétique à des marqueurs fluorescents / transfections), la transcriptomique et la protéomique. Actuellement, j’ai ainsi contribué à ce domaine d’investigation avec l’isolement/caractérisation/inhibition de diverses cibles dont : aminopeptidases, falcipaines, protéine-disulfide isomérase, dynamine-2, transporteurs PfADP/ATP et PfATP6, Pf113 . Ces 5 dernières années, j’ai principalement approfondi mes recherches sur les aminopeptidases malariques PfA-M1 et PfA-M17, en collaboration avec plusieurs équipes de chimistes, et entrepris des tests in vivo sur des modèles murins du paludisme.
1.1 Focus sur les aminopeptidases
Le génome de P. falciparum code pour 9 aminopeptidases dont deux aminopeptidases neutres : PfA-M1 et PfA-M17. PfA-M1 , que j’ai découverte en 1998 et dont j’ai fait les études biologiques les plus poussées sur le plan international (expression, maturation, adressage, localisation subcellulaire) et PfA-M17, sur laquelle je travaille depuis 2012 dans le cadre du programme ANR-Mammamia piloté par le Pr. C. Tarnus (laboratoire COB, Université de Mulhouse) sont deux zinc-aminopeptidases plasmodiales codées en copies uniques dans le génome de Plasmodium et reconnues essentielles pour la prolifération du parasite. Actuellement, nous disposons des formes recombinantes actives de PfA-M1 et PfA-M17 (gènes synthétiques dont l’usage des codons a été optimisé pour une expression dans la bactérie Escherichia coli ), qui nous permettent le test à moyen débit de dizaines d’inhibiteurs de synthèse afin d’en isoler/caractériser qui soient spécifiques d’une enzyme sans toucher l’autre, contrairement à la démarche de certains de nos compétiteurs qui se recherchent de inhibiteurs bifonctionnels. Actuellement, nous avons en projets : la résolution des structures tridimensionnelles de ces deux enzymes co-cristallisées avec les inhibiteurs que nous avons identifiés, l’étude fine de la localisation subcellulaire (par microscopie électronique) des deux enzymes dans le globule rouge parasite par Plasmodium , et l’étude du rôle fonctionnel de ces enzymes en dehors de leur implication connue et reconnue dans la cascade d’hydrolyse de l’hémoglobine par le parasite. En effet, les données transcriptomiques et protéomiques disponible pour le parasite P. falciparum ou la formes murines P. berghei , révèlent que ces enzymes sont également exprimées dans les autres phases de développement du parasite, sans que leur rôle ne soit compris. Ces études prennent compte les recommandations internationales actuelles pour la lutte antipaludique, qui insistent sur la nécessité désormais de ne pas cibler uniquement les stades érythrocytaires du parasite mais également les stades sexués ou en différentiation sexuelle, afin de pouvoir rompre le cycle de propagation du parasite. Ces stratégies sont connues sous la dénomination « stratégies de blocage de la transmission » ou « Transmission Blocking Strategies ». Ci-dessous, les programmes des dernières années ayant soutenu cet axe de recherche.
1.2. Annotations fonctionnelles du génome de Plasmodium
La morphogenèse des mérozoites résulte d’une série coordonnée d’évènements moléculaires et cellulaires, se déroulant dans la seconde moitié du cycle érythrocytaire de 48h du parasite. Afin de décrypter ces mécanismes, nous avons, dès la publication du génome de Plasmodium falciparum , mis en place une approche transcriptomique par hybridation soustractive suppressive dans le cadre du DEA puis de la thèse de Sébastien Charneau (désormais professeur à l’Université de Brasilia). Cette approche expérimentale, novatrice à l’époque, a permis l’identification d’une série de protéines plasmodiales impliquées dans ces processus dont la dynamine-2 de P. falciparum, que nous avons par la suite caractérisée sur le plan fonctionnel . Elle a également généré un jeu de données propice à la résolution de certaines problématiques liées à l’annotation fonctionnelle du génome de P. falciparum, qui ont engendré le développement de travaux de recherche en collaboration avec Betina Porcel et Patrick Winker du Génoscope (2006-2008) puis O. Gascuel (porteur de projet) et E. Maréchal dans le cadre de l› ANR-PlasmoExplore (2007-2010) : « Fouille des données génomiques et post-génomiques de Plasmodium falciparum , qui est l’agent principal de la malaria, pour prédire la fonction des gènes orphelins et identifier de nouvelles cibles thérapeutiques ». Ces travaux, qui ont été implémentées dans la base de référence pour les données ganomiques et post-génomiques de Plasmodium , PlasmoDB (plasmodb.org), nous ont permis de contribuer à réduire le nombre de gènes non annotés de P. falciparum (~60% au moment de la publication du génome, <47% à la fin du programme PlasmoExplore). Un autre développement de cet axe de recherche a été la caractérisation fonctionnelle de certaines protéines impliquées dans la biosynthèse des rhoptries (organelles invasives des mérozoites), ou l’invasion des globules rouges, que nous avions alors identifiées (cf. M1 (J. Panek, 2011), M2 (KR. Imboumy –Limoukou, 2012), thèse (Franco-Gabonaise) avec ce même étudiant (2012-2017).
- Bourses de l’AUF pour le stage Master 2 (2012) puis la Bourse doctorale (2012-2015 – extension 2016) obtenue par I. Florent et attribuée à KR. Imboumy Limoukou (Ecole Doctorale Régionale, Libreville, Gabon) sur le projet : « Caractérisation moléculaire et fonctionnelle de protéines de P. falciparum impliquées dans l’invasion des globules rouges et exploration de leur potentiel thérapeutique » ; doctorat en codirection avec le Dr. Lekana. Implications de plusieurs stagiaires (A. Dondi, Ecole Ingénieur de Strasbourg 2015, M. Binet, BTS 2012).
2. Contrôle du développement de Giardia par des probiotiques
La Giardiose, causée par le protozoaire parasite Giardia duodenalis (syn, G. lamblia , G. intestinalis ) est une pathologie intestinale dont la distribution est mondiale. La forme trophozoïte du parasite se développe dans les intestins des hôtes où elle cohabite avec le microbiote intestinal. Des bactéries probiotiques à l’exemple de Lactobacillus johnsonii LA1 (LjLA1) peuvent jouer un rôle protecteur contre Giardia in vitro et in viv o (Travers et al., 2011). Au laboratoire, nous avons décrypté un mécanisme moléculaire de l’action anti- Giardia présente dans les surnageants de LjLA1, par une combinaison d’approches biologiques et biochimiques : il s’agit d’une activité enzymatique de type bile-salt-hydrolase (BSH), dont l’action sur le parasite est indirecte et dépendante de la bile (Travers et al., 2016). Afin de valider le rôle des BSH de LjLA1 dans l’activité anti- Giardia , nous avons cloné et exprimé chacun des trois gènes bsh codés dans son génome (bsh12, bsh47 et bsh56) pour étudier leurs propriétés enzymatiques et biologiques. Les tests ont pour le moment indiqué que : 1) les spécificités de substrat de BSH47 et de BSH56 sont distinctes ; 2) les deux enzymes recombinantes sont capables de bloquer la prolifération des parasites in vitro ; 3) BSH47 est également active in vivo dans un modèle souriceau nouveau-né de la giardiose. En parallèle, nous avons recherché si d’autres lactobacilles pouvaient également contrôler la croissance de G. duodenalis in vitro et in vivo . Le criblage d’une collection de ~30 souches de lactobacilles provenant d’environnements très variés a permis d’établir qu’elles ne sont pas toutes actives sur Giardia mais qu’il est possible de corréler positivement leurs activités anti- Giardia et leurs activités BSH. En outre, une nouvelle souche a été identifiée, L. gasseri CNCM I-488, dont les activités in vitro sont similaires à celles de LjLA1 et les activités in vivo sont supérieures, avec une réduction de la charge parasitaire dans l’intestin grêle de plus de 90%. Ces résultats ouvrent des perspectives tant fondamentales qu’appliquées dans le traitement de cette parasitose intestinale négligée, basées sur l’utilisation de probiotioques en lien avec leurs activités bile salt hydrolases. Ce travail est le fruit d’une collaboration de trois laboratoires d’Ile de France, récemment étendue à un laboratoire canadien.
3. Biodiversité des microorganismes eucaryotes : Grégarines (Apicomplexes), Dicyémides (Mezozoaires), Chromidinés (Ciliés).
Un volet distinct de mes activités de rechercher concerne la caractérisation de microorganismes eucaryotes présents dans les environnements – une approche permettant d’explorer la diversité biologique et fonctionnelle des microeucaryotes sur terrain, c’est-à-dire au-delà des seuls modèles biologiques conventionnels. Je développe ces caractérisations pour trois groupes d’organismes, extrêmement divers sur le plan taxonomique dont le point commun est de correspondre à des taxons très mal caractérisés sur les plans moléculaires et phylogénétiques : les Grégarines (Eucaryota, Alveolata, Apicomplexa), les Dicyémides (Eucaryota, Metazoa, Mesozoa) et les Chromidinés (Eucaryota, Alveolata, Ciliophora), Ces travaux contribuent à étoffer les connaissances actuellement très partielles de la microbiodiversité eucaryote et à enrichir nos collections . Ils procurent des données également des données originales contribuant à étoffer des branches particulièrement méconnues de l’arbre du vivant.
Ces travaux nous ont actuellement permis description ou re-description de microorganismes eucaryotes parasites, en leur associant pour la première fois des marqueurs moléculaires, avec le soutien de nombreux programmes du MNHN (ATM-Microorganismes 2012 & 2013, ATM-Barcode 2013, ATM-Biodiversité 2013, ATM-Emergence 2014 & 2015, ATM-Formes 2014, ATM-Génomique 2014-2015), du LabEx-BCDiv 2014 (bourse Master 2 attribuée à F. Jacques) et de l’AUF dans le cadre de la Thèse en cotutelle (Franco Tunisienne) de D. Souidenne : « Parasites Ciliés Chromidinés et Dicyémides des sacs rénaux de Céphalopodes », codirection I. Florent / Pr. Romdhane de l’Institut National Agronomique de Tunis ( 2012-2016 ). Nous avons également publié une étude morpho-moléculaire détaillée sur l’espèce type des Archigrégarines, Selenidium pendula .
Giardia duodenalis (syn. G. lamblia, G. intestinalis), forme trophozoïte. Microscopie électronique à balayage © MNHN Soraya Chaouch, Lisy Raveendran et Isabelle Florent , MCAM, 2011
Gregarina blaberae, parasite intestinal de la blatte Blaberus craniifer, kyste en sporulation (diamètre, ~200µm). Microscopie optique © MNHN – Laure Wasniewski et Isabelle Florent , MCAM, 2012
Gregarina garnhami, parasite intestinal du criquet pèlerin Schistocerca gregaria, forme trophozoïte. Microscopie électronique à balayage © MNHN Lisy Raveendran et Isabelle Florent , MCAM, 2014